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Écrire sa patrie en exil, écrire l’exil
‘’ Je m’aperçois que les gens de ma génération, ceux qui sont nés dans les années 1950, ne sont sortis d’une guerre que pour entrer dans une autre et puis encore dans une autre. Nous avons grandi dans la violence, celle de la guerre, celle de l’accouchement de l’indépendance et enfin celles des multiples trahisons de cette indépendance. Ça donne réellement à réfléchir.’’Metref
Arezki Metref a vu le jour dans les années 50 en Algérie. Il est à la fois journaliste, écrivain, poète et peintre. Il a connu des moments de guerre, de joies de l’indépendance, de sérénité temporaire et de terrorisme. Depuis 1993, il a, également, découvert les différentes facettes de l’exil, un exil qui l’a poussé ou inspiré à écrire, à dire, à immortaliser ce que la mémoire collective oublie souvent. De passage à Montréal ,ce 4 septembre 2016, l’écrivain-journaliste donnera une conférence sur la création littéraire en exil au centre Saint-Pierre. Il a accepté de répondre à nos questions, mais pour mieux le connaître, il faut lire ses œuvres et l’écouter parler.
Ce n’est pas la première fois que vous veniez à Montréal. Vous avez déjà donné une conférence sur le théâtre de Kateb Yacine au début des années 2000.
Oui j’ai eu le plaisir de venir à Montréal au début des années 2000 pour parler du théâtre de Kateb Yacine. Je garde un souvenir magnifique de toutes les rencontres que j’ai pu faire. J’y ai retrouvé des amis algériens et j’ai fait la connaissance de beaucoup d’amis canadiens et d’autres pays.
Cette année 2016, vous revenez à Montréal pour parler de la création en exil et pour présenter vos derniers ouvrages.
Oui, je voudrais essayer de partager ce sentiment à la fois de solitude et de réminiscence qu’est l’acte d’écrire en exil. Et puis, c’est une occasion de présenter mes deux derniers ouvrages parus tous les deux en Algérie.
Depuis votre installation en France, vous êtes devenu un écrivain prolifique. Pourrait-on déduire que cette production qui vacille entre nostalgie, exil et espoir ne pourrait pas avoir lieu sans le fait d’être exilé? Disons, elle serait différente si vous étiez encore en Algérie.
Il est certain que j’aurais écrit différemment si je n’étais pas parti. Je ne sais pas si j’aurais écrit même. L’exil demande à ce qu’on compense l’absence par la création.
Dans votre production littéraire, on voyage dans l’univers de l’enfance, de la guerre d’Algérie et des hauts et des bas d’un pays indépendant, mais trahi. Pourrait-on conclure que vous êtes un témoin oculaire de tant d’évènements heureux et malheureux d’une patrie damnée?
Je m’aperçois que les gens de ma génération, ceux qui sont nés dans les années 1950, ne sont sortis d’une guerre que pour entrer dans une autre et puis encore dans une autre. Nous avons grandi dans la violence, celle de la guerre, celle de l’accouchement de l’indépendance et enfin celles des multiples trahisons de cette indépendance. Ça donne réellement à réfléchir.
Vous avez travaillé à Algérie-Actualité et à Rupture. Vous avez connu beaucoup de journalistes qui ont marqué ces deux hebdomadaires. Parmi ces plumes, Tahar Djaout. Qu’est-ce que son assassinat avait provoqué en vous en tant que journaliste?
Tahar Djaout était un grand monsieur. Il avait d’extraordinaires qualités intellectuelles et littéraires, dont témoignent ses œuvres, mais aussi des qualités humaines rares. C’est surtout celles-là qui m’ont marqué. C’est une énorme perte pour l’Algérie. Il ne faut pas l’oublier…
Vos multiples talents ont donné vie à plusieurs projets sur l’histoire lointaine de la Numidie. Pourriez-vous nous en parler brièvement?
Je m’intéresse beaucoup à l’histoire de l’Algérie et notamment à l’histoire longue, celle qui atteste que nous sommes d’un pays qui ne date pas du septième siècle ou du dix neuvième siècle. Nous avons un panthéon qui remonte jusqu’à Massinissa. Je me suis intéressé en particulier au personnage d’Apulée de Madaure, cet écrivain du premier siècle après JC, qui est considéré comme le premier des romanciers de l’humanité.
Vous avez récemment assisté au colloque sur le roi numide Jugurtha à Annaba. Qu’est-ce que cet événement pourrait apporter pour l’avancée de Tamazight en Algérie notamment?
C’est un colloque organisé par le Haut Commissariat à l’Amazighité à Annaba intitulé « Jugurtha affronte Rome ». Il y a eu d’excellentes interventions de spécialistes de plusieurs pays, France, Italie, Espagne, Allemagne, Tunisie et bien sûr Algérie.
Revisiter Jugurtha comme un ancêtre et un symbole de la constitution de l’identité est déjà en soi un acte majeur dans la reconnaissance de l’amazighité de l’Algérie.
Serait-il facile d’être journaliste et poète? Leurs regards ne sont pas toujours compatibles, non?
Oui et non. Ce sont deux façons d’écrire et d’appréhender le monde différentes. Mais elles restent compatibles, et il y’en eut beaucoup avant moi qui l’ont montré brillamment. Kateb Yacine et Mohamed Dib, par exemple.
Un message pour les exilés de Montréal…
Je les salue fraternellement avant d’avoir le plaisir de les rencontrer.
Djamila Addar